«Qui va là ?». La voix du jeune fantassin canadien résonne de la tranchée, à travers l’obscurité impénétrable de la nuit et de pluie battante. «C’est moi, le Padre1» vient la réponse de l’aumônier militaire protestant, en se glissant dans la position défensive aux petites heures du matin. «Mais Padre, que faites-vous là à cette heure ?» Voilà, en effet, une question qui résume bien le ministère de l’aumônier militaire, lequel doit pouvoir servir «ses troupes» à toute heure et en tous lieux. On peut définir ce ministère à la fois officiellement et officieusement.
Les Forces canadiennes définissent officiellement la mission d’un aumônier militaire tel que:
L’aumônier veille au bien-être moral et spirituel de toute personne faisant partie de la base, l’unité ou l’élément et:(a) dirige les offices religieux et officie aux baptêmes, mariages et funérailles;(b) prend des mesures nécessaires pour accorder des secours religieux aux militaires ou aux membres de leurs familles qui selon le cas sont malades, en détention civile ou militaire ou qui désirent des secours religieux;(c) doit être prêt à assurer l’aide et l’instruction religieuses à toutes les personnes de la base, l’unité ou l’élément. 2
Officieusement, le rôle de l’aumônier militaire est d’initier le contact avec les militaires et leurs familles, pour être à côté d’eux là où ils se trouvent, et pour partager avec eux des situations pénibles et où ils sont vulnérables. On appelle souvent ce travail un «ministère de présence». À toutes fins pratiques, que signifie cette expression ? Certes, l’aumônier est personnellement et fréquemment auprès des gens mais au fond, un aumônier militaire protestant est surtout un ministre de l’Évangile de Jésus-Christ. Il écoute attentivement, afin de donner «d’honnêtes réponses à d’honnêtes questions» 3 en cherchant à appliquer l’Évangile, aux défis, aux peurs, aux doutes et aux peines des militaires et de leurs familles, et ce, de façon personnelle.
Or, dans cet article, je tenterai d’examiner brièvement deux aspects incontournables de la relation entre l’Évangile de Jésus-Christ et le ministère de l’aumônier militaire protestant. D’abord, j’expliquerai le rôle primaire de l’aumônier militaire protestant, c’est-à-dire celui de faire connaître l’Évangile dans le contexte militaire. Ensuite, je regarderai le rôle complémentaire de l’aumônier militaire protestant, qui est d’offrir des soins pastoraux fondés sur l’exclusivité de l’Évangile dans le contexte pluraliste de l’Armée canadienne d’aujourd’hui. 4
I) LE RÔLE PRIMAIRE DE L’AUMÔNIER MILITAIRE PROTESTANT
Il y a certainement un rôle diaconal 5 propre à l’aumônerie militaire. Toutefois, le rôle prioritaire de l’aumônier militaire protestant est d’apporter la grâce et la vérité de l’Évangile de Jésus-Christ auprès des militaires et leurs familles étant déjà croyants, ainsi que de partager l’Évangile avec tout militaire et sa famille qui manifeste un intérêt pour ce sujet. Or, quand je parle d’Évangile je définis le terme en son sens biblique, soit l’initiative du Dieu trinitaire venant du Père qui, dans sa bonté imméritée, se réconcilie avec des gens qui le haïssent, en envoyant son Fils Jésus qui subit à leur place le châtiment de la mort, assure leur pardon par sa résurrection, et garantisse leur vie éternelle auprès de Dieu par l’Esprit Saint. 6 Autrement dit, l’Évangile est, d’abord et avant tout, la déclaration de ce que Dieu fait pour nous plutôt que ce que nous faisons pour Dieu et notre prochain. Au cœur de l’Évangile se trouve Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui s’offre sur une croix comme substitut qui subit le jugement de Dieu pour les péchés de son peuple, afin que Dieu puisse se réconcilier avec des hommes et des femmes injustes. Tout se fait par Dieu seul, tout vient uniquement de sa pure bonté, et tout est sans mérites et sans contribution aucunes de notre part.
Dans le contexte de la vie militaire, cet Évangile de Jésus-Christ est profondément radical et contre intuitif. La raison en est fort simple : la vie militaire se définit et se nourrit par la performance et le mérite. A peu près tout dans la vie d’un marin, soldat ou aviateur est axé sur deux grands principes : accomplir la mission et recevoir des honneurs. Depuis le premier jour de son cours de recrue jusqu’à la fin de sa carrière, un militaire est entrainé pour faire passer la mission avant tout et pour chercher les récompenses méritées – surtout les promotions – pour un travail exécuté avec initiative, dévouement, et efficacité constants. Les devises et les slogans régimentaires occidentaux renforcent ces attitudes tant recherchées. Par exemple, la devise officieuse du Royal Canadian Regiment 7 est « Ne jamais passer sous silence une faute») et les devises des unités d’opérations spéciales sont souvent une variation de «Qui ose, gagne». 8 L’honneur est au cœur même de l’identité militaire, qui se résume au renforcement de notre identité au travers de la qualité de notre performance et notre dévouement. Aux yeux des militaires, nous sommes qui nous sommes parce que nous l’avons mérité.
Inversement, selon l’Évangile de Jésus-Christ, aux yeux de Dieu, nous sommes créés dignes et entièrement à son image mais nous avons fait un «coup d’État spirituel» contre notre Créateur, pour ainsi devenir des hommes et des femmes déshonorés et indignes. Nous avons perdu notre honneur à un tel point que nous avons désespérément besoin de la miséricorde et du pardon que seul Jésus-Christ peut nous accorder. Lorsque cette grâce et ce pardon de Jésus saisissent et transforment notre cœur – pour la première fois et continuellement pendant la vie – l’identité du militaire change de deux façons permanentes et parfois difficiles à vivre.
D’abord, l’identité profonde du militaire chrétien ne vient plus de son grade ou de ses mérites militaires, mais plutôt de la dignité et des mérites de Jésus, qui lui sont crédités comme un cadeau immérité. Certes, même en étant chrétien, une partie importante de l’identité militaire continue de venir de notre grade et de nos promotions. Ce serait peu sage, même malhonnête, de nier notre humanité et la culture militaire. Toutefois, l’identité la plus profonde du militaire chrétien est désormais celle d’un enfant de Dieu, pardonné et aimé pour toujours par Jésus-Christ.
Cette nouvelle identité en Jésus-Christ transforme ensuite la façon dont un militaire chrétien agit envers ses supérieurs et ses subordonnés, comme l’explique l’apôtre Paul dans Éphésiens 6, les versets 5 à 9. En examinant le texte de plus près, nous constatons qu’une bonne partie du ministère de l’aumônier militaire protestant consiste à encourager des militaires chrétiens à mettre ce texte en pratique, et à l’appliquer à ceux n’étant pas encore chrétiens afin de leur expliquer comment leur vie changerait s’ils devenaient disciples de Jésus-Christ.
Dans ce texte, l’apôtre Paul parle surtout des relations entre maîtres et esclaves chrétiens du premier siècle, lesquels se trouvent souvent dans la même famille et la même Église locale. L’application première de ces versets est donc entre chrétiens. Toutefois, ces mêmes versets incluent des principes s’appliquant au chrétien dans ses liens plus généraux, par exemple au travail, ce qui englobe aussi la vie militaire. Voici ce que dit l’apôtre dans Éphésiens 6, les versets 5 à 9 :
5 Esclaves, obéissez à vos maîtres terrestres avec crainte et profond respect, avec sincérité de cœur, comme à Christ. 6 Ne le faites pas seulement sous leurs yeux, comme le feraient des êtres désireux de plaire aux hommes, mais obéissez comme des serviteurs de Christ qui font de tout leur cœur la volonté de Dieu. 7 Servez-les avec bonne volonté, comme si vous serviez le Seigneur et non des hommes, 8 sachant que chacun, esclave ou homme libre, recevra du Seigneur le bien qu’il aura lui-même fait. 9 Quant à vous, maîtres, agissez de même envers eux et abstenez-vous de menaces, sachant que leur maître et le vôtre est dans le ciel et que devant lui il n’y a pas de favoritisme.
Les versets 5 à 8 s’adressent particulièrement aux militaires chrétiens de rang – matelot, soldat, aviateur ; aux sous officiers : second maîtres, premier maîtres, sergents, adjudants – et à toute relation entre personnes de grades inférieur et supérieur. Le verset 8 apporte tout particulièrement au militaire chrétien une profonde assurance de sa vraie identité, et ce, surtout lorsqu’on n’est pas promu ou quand ses efforts ne sont reconnus. Une partie fréquente du ministère de l’aumônier militaire est de conseiller des militaires croyants qui se sentent oubliés ou maltraités par « le système », et d’expliquer ce même Évangile aux non-croyants qui se trouvent dans cette situation difficile. Lorsque le moral d’une unité militaire est miné, une des principales causes est souvent un manque de reconnaissance venant des supérieurs, car le système militaire valorise tant la performance et la réussite. Or, au verset 8 l’apôtre dit au militaire chrétien « sachant que chacun, esclave ou homme libre, recevra du Seigneur le bien qu’il aura lui-même fait.» Bref, l’Évangile rappelle au militaire chrétien sa vraie récompense et lui apporte du réconfort lors des moments qu’on peut qualifier «d’échecs». Jésus promet de récompenser le travail de son peuple, même lorsque les autorités humaines ne le font pas. Le résultat est que le militaire chrétien pourra accomplir sa mission et s’acquitter de ses responsabilités du mieux possible, tout en laissant entre les mains de Dieu les résultats et même les conséquences de son service. Au lieu de s’inquiéter des résultats d’une course «carriériste», le militaire chrétien, à travers l’Évangile, à la liberté de chercher d’abord et avant tout la récompense de son seul vrai Maître.
En deuxième lieu, le verset 9 s’adresse particulièrement aux officiers chrétiens subalternes et supérieurs, aux amiraux et généraux, et à toute relation d’un supérieur envers un subordonné. Voici ce qu’en dit l’apôtre : « Quant à vous, maîtres, agissez de même envers eux et abstenez-vous de menaces, sachant que leur maître et le vôtre est dans le ciel et que devant lui il n’y a pas de favoritisme. » Ici encore, il est important de souligner que la première application de ce principe est au sein de l’Église. Toutefois, le ministère d’un aumônier militaire protestant auprès des militaires chrétiens de grade supérieur est de leur montrer comment l’Évangile change leur façon de commander de deux façons précises : dans leur façon de servir et dans leur exercice de la justice.
Premièrement, l’aumônier militaire a le rôle pour encourager et conseiller ceux et celles en position supérieure de servir plutôt que de se faire servir. On décèle, dans ces conseils, une consigne positive (à faire) et une consigne négative (à ne pas faire).
Du côté positif, le supérieur militaire chrétien est appelé par Dieu à traiter ses inférieurs avec humilité, respect et sincérité de cœur : «agissez de même». Pourquoi ? Parce que le militaire chrétien a un Maître au-delà de l’État, c’est-à-dire Jésus-Christ, qui est venu servir plutôt que pour se faire servir. Jésus est le contraire de ce qui est considéré comme «normal» dans notre société occidentale. Cette dernière affirme que plus notre grade est élevé, plus nous devrions nous attendre à recevoir des honneurs et des récompenses, par exemple, un bon salaire, du prestige, et du pouvoir. Mais pour les militaires chrétiens qui se fondent sur l’Évangile, plus nous sommes gradés, plus nous sommes appelés à servir ses subordonnés et à mettre leurs intérêts avant les nôtres. Ce principe est enseigné et encouragé par l’aumônier militaire protestant. Cette façon de diriger est bien illustrée à travers une tradition dans l’Armée canadienne qui veut que lorsque les militaires mangent ils le font en ordre inverse de leur grade. Les simples soldats mangent en premier, suivis par les caporaux, les sergents et les adjudants. Ensuite viennent les officiers : des subalternes, des officiers supérieurs, et finalement, les généraux. L’officier le plus haut gradé est toujours le dernier à manger. De la même façon, un officier supérieur chrétien est appelé à servir plutôt que de se faire servir.
Du côté de la consigne négative (à ne pas faire), l’aumônier militaire encourage et enseigne les supérieurs chrétiens à ne pas abuser de leur pouvoir : «abstenez-vous de menaces». Il explique aussi aux supérieurs non chrétiens comment leur façon de commander changerait s’ils devenaient chrétiens. Certes, il y a une ligne assez mince entre commander de façon responsable et averti d’une part, et commander de manière abusive d’autre part. D’ailleurs, plus on monte en grade, plus la ligne entre les deux est mince. Néanmoins, la menace d’un supérieur envers ses inférieurs se manifeste dans la vie militaire lorsqu’on essaie de manipuler ou de contrôler la conscience d’autrui plutôt que d’inculquer l’obéissance venant d’un cœur libre, respectueux et engagé. Par exemple, on parle d’abus de pouvoir lorsqu’un supérieur menace d’exécuter des sanctions qui sont trop sévères pour une faute. L’abus peut également se produire lorsqu’il y a tentative de bloquer une promotion comme tactique de vengeance contre autrui. En tant que ministre de l’Évangile, l’aumônier chrétien appelle les militaires supérieurs chrétiens à ne jamais abuser de leur pouvoir, et il essaie de démontrer aux militaires non chrétiens pourquoi cette approche est celle de Dieu lui-même.
Deuxièmement, l’aumônier militaire protestant cherche constamment à conseiller et à encourager les supérieurs chrétiens à agir de façon juste et impartiale, car Dieu lui-même «agit sans favoritisme». Tel qu’il a été expliqué ci-contre, l’Évangile de Jésus-Christ déclare que tous ceux qui se fient à Jésus comme leur substitut sont justifiés devant Dieu, sans égard à leurs mérites. Dieu agit sans partialité, par pure bonté. Il pardonne celui qu’il veut et tous ceux qu’il justifie reçoivent la plénitude de son pardon pour toujours. Tous reçoivent donc la même justice. Or, celui ou celle dont le cœur est saisi et transformé par ce pardon sans mérites veut traiter son prochain sans favoritisme, en faisant preuve d’une justice égale pour tous. Ce principe est particulièrement important pour les officiers supérieurs, ainsi que dans tout contexte militaire où il y a une interaction entre supérieur et subordonné, car celui en position supérieure est responsable d’appliquer la justice militaire sans favoritisme aucune, peu importe le grade. Autrement dit, les règles qui s’appliquent aux inférieurs s’appliquent avec la même rigueur envers même les plus hauts gradés. Le militaire chrétien agit ainsi non pas simplement parce que c’est la bonne chose à faire envers son prochain, mais surtout parce qu’il désire honorer son Maître Jésus-Christ, qui n’avantage personne. L’Évangile crée donc des hommes et des femmes qui apportent une intégrité soutenue dans les relations militaires car leurs supérieurs et leurs subordonnés sauront que ces militaires chrétiens seront justes envers tous.
II) LE RÔLE COMPLÉMENTAIRE DE L’AUMÔNIER MILITAIRE PROTESTANT
Le deuxième rôle de l’aumônier militaire protestant est de faire face à un défi considérable : apporter une approche pastorale fondée sur l’exclusivité sotériologique de l’Évangile, dans un contexte social pluraliste.
Dans un État démocratique moderne, les forces militaires sont au service de tous les citoyens, de façon responsable et impartiale. Le système militaire d’un pays moderne est donc pluraliste, car il doit comprendre et respecter les croyances et convictions de tous ses citoyens. Par exemple, lorsque l’apôtre Paul parle du volet militaire de l’État dans Romains 13, les versets 1 à 5, il est évident que ce rôle comprend tous les citoyens, et qu’il a été créé par Dieu lui-même, selon le dessein de sa grâce commune. Voici ce qu’en dit l’apôtre :
1 Chacun doit se soumettre aux autorités qui exercent le pouvoir. Car toute autorité vient de Dieu ; celles qui existent ont été établies par lui. 2 Ainsi, celui qui s’oppose à l’autorité s’oppose à l’ordre voulu par Dieu. Ceux qui s’y opposent attireront le jugement sur eux-mêmes. 3 En effet, les magistrats ne sont pas à craindre par ceux qui font le bien, mais par ceux qui font le mal. Désires-tu ne pas avoir à craindre l’autorité ? Alors, fais le bien et tu recevras des éloges, 4 car elle est au service de Dieu pour t’encourager à bien faire. Mais si tu fais le mal, crains-la ! Car ce n’est pas pour rien qu’elle a le pouvoir de punir : elle est au service de Dieu pour montrer sa colère contre celui qui agit mal. 5 C’est pourquoi il est nécessaire de se soumettre aux autorités, non seulement pour éviter la colère de Dieu, mais encore par devoir de conscience.
Le défi pour l’aumônier militaire protestant est d’offrir des soins pastoraux appropriés découlant de la grâce salvifique de Jésus-Christ dans une organisation dont le rôle se limite à la grâce commune. Par définition, le pouvoir militaire est limité en ce qu’il peut faire. Par exemple, le pouvoir étatique ne peut jamais changer le cœur humain. En ce sens, le pouvoir militaire est sans armes pour réconcilier les êtres humains avec Dieu et les uns avec les autres. Seule la justification venant de l’œuvre de Jésus-Christ pourra nous réconcilier avec Dieu et seule la sanctification venant de l’œuvre de l’Esprit Saint peut créer des progrès durables vers la réconciliation avec notre prochain, y compris avec notre ennemi. Cette double réalité de la légitimité du rôle militaire d’une part, et de la sotériologie exclusive de l’Évangile d’autre part, engendre, tôt ou tard, une tension importante chez l’aumônier militaire protestant. D’un côté, il veut honorer, par motif de conscience, la chaîne de commandement militaire. De l’autre côté, par amour pour Dieu et sa grâce salvifique imméritée envers son peuple, il veut maintenir le contenu et l’exclusivité de l’Évangile. Le défi de cette réalité est de rester libre pour choisir l’Évangile avant notre carrière militaire, car le carriérisme pourrait remplacer, en pratique, notre rôle pastoral d’appliquer l’Évangile de Jésus-Christ, surtout lorsque son fond exclusif interpelle ou dérange dans un contexte pluraliste.
Un exemple pratique de ce défi pastoral de rester centré sur l’Évangile est la prière publique lors des cérémonies ou rassemblements militaires. Certains pensent qu’un aumônier exerce surtout un rôle d’agent religieux de la grâce commune, alors le contenu de ses prières devraient être pluralistes, afin d’y valider toutes les croyances. Par contre, si un aumônier militaire protestant est surtout un ministère de l’Évangile de la grâce salvifique, envoyé par son Église, alors le contenu de ses prières sera trinitaire. Or, le présent article est de l’avis, à la lumière de la Bible, que le rôle de l’aumônier est celui de ministre de l’Évangile, envoyé par son Église. Il a donc la responsabilité d’assurer que ses prières publiques soient à la fois compréhensibles pour tous et en harmonie avec la confession de foi de sa famille ecclésiastique. Dans 1 Timothée 2, les versets 5 et 6, l’apôtre Paul dit :
5 Car il y a un seul Dieu, et un seul intermédiaire entre Dieu et l’humanité, l’homme Jésus-Christ 6 qui s’est donné lui-même comme rançon pour la libération de tous. Il a apporté ainsi, au temps fixé, la preuve que Dieu veut que tous les humains soient sauvés.
Dans ce texte, l’apôtre souligne qu’il n’y a qu’un seul substitut qui puisse nous réconcilier avec Dieu : Jésus-Christ. Il est le seul pour toutes les ethnies, pour toutes les cultures, pour toute l’histoire, parce qu’il est le seul qui nous pardonne par sa grâce au lieu de nous exiger à améliorer notre état spirituel pour mériter sa faveur. Autrement dit, il est le seul médiateur, soit en privé soit en public. L’aumônier militaire protestant cherche donc à offrir des prières et des soins pastoraux fondés uniquement sur l’Évangile, plutôt que de le faire en ayant un œil sur ses promotions potentielles ou l’avancement de sa carrière. Au fond, il s’agit aussi d’un test de sa crédibilité auprès des autres militaires. Prenons un exemple concret. La chose la plus difficile à faire pour un militaire chrétien est de désobéir à un ordre qu’il estime être en contradiction avec les Écritures saintes. Un militaire chrétien peut se trouver dans ce dilemme en refusant de tirer sur des non combattants, d’abuser des prisonniers, ou lorsqu’il dénonce un acte grave commis par un supérieur. De telles réponses à ces situations exigent un courage fort qui ne peut être présent que lorsqu’on se fie à Jésus avant tout. On ne peut mettre l’Évangile avant notre carrière militaire que si Jésus seul est suffisant et que s’il passe avant toute autre chose.
Or, si un militaire dans une telle situation grave vient demander «Padre, qu’est-ce que je devrais faire ?», il ne sera possible de conseiller avec intégrité de « faire ce qui honore Dieu » que si l’aumônier lui-même met en pratique les paroles qu’il partage. Autrement dit, un aumônier qui est fidèle à prier publiquement des prières trinitaires aura la crédibilité de conseiller un autre militaire de poser un geste difficile par motif d’amour pour Dieu. Être aux côtés des militaires et leur offrir des soins pastoraux dans les situations les plus difficiles veut également dire d’être prêts à faire soi-même ce qu’on conseille aux autres au nom de Jésus-Christ.
CONCLUSION
En conclusion, il y a aura toujours des moments importants qui appartiennent au padre, au cours des exercices ou dans le feu de l’action. Dans l’infanterie, ces moments comprennent l’attente avant de partir en patrouille, où l’aumônier prie pour et avec ses troupes, en tête-à-tête. Un aumônier cherche certainement à partager l’Évangile du mieux possible avant un assaut. En position défensive, où les heures sont longues et souvent pénibles, un padre peut être un réconfort non seulement par sa présence mais aussi en communiquant la bonne nouvelle que Jésus a subi beaucoup plus afin de pardonner à tout jamais celui ou celle qui se fie à lui. Finalement, après des entrainements ou des batailles où il a des blessés, des prisonniers et des morts, l’aumônier apporte la Parole de Dieu sur la vie et la mort, sur le présent et l’éternité, en apportant le réconfort que Jésus seul peut nous donner.
Aux versets 20 à 26 du chapitre 12 de l’Évangile de Jean, nous lisons :
20 Quelques Grecs se trouvaient parmi ceux qui étaient venus à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête. 21 Ils s’approchèrent de Philippe, qui était de Bethsaïda en Galilée, et lui dirent : « Maître, nous désirons voir Jésus. » 22 Philippe alla le dire à André, puis tous deux allèrent le dire à Jésus. 23 Jésus leur répondit : « L’heure est maintenant venue où le Fils de l’homme va être élevé à la gloire. 24 Oui, je vous le déclare, c’est la vérité : un grain de blé reste un seul grain s’il ne tombe pas en terre et ne meurt pas. Mais s’il meurt, il produit beaucoup de grains. 25 Celui qui aime sa vie la perdra, mais celui qui refuse de s’y attacher dans ce monde la gardera pour la vie éternelle. 26 Si quelqu’un veut me servir, il doit me suivre ; ainsi, mon serviteur sera aussi là où je suis. Mon Père honorera celui qui me sert. »
Dans ce texte, Jésus dit que son heure est venue pour se donner sur la croix. Il descend au plus profond de la tranchée de notre misère remplie de péché, aux pires heures de notre vie. Il subit nos blessures à notre place, afin que nous soyons réconciliés avec Dieu pour toujours. Derrière cette mission de Jésus se trouve Dieu le Père qui envoie son Fils. Le résultat de sa mission, c’est la victoire de la vie éternelle à tous ceux et celles qui croient, une victoire rendue certaine par l’Esprit Saint qui fait renaître le cœur de son peuple. Bref, le Dieu trinitaire est le padre par excellence. Il ose servir plutôt que de se faire servir afin d’honorer celui qui le sert.
Notes
1. « Le mot anglais «padre», d’usage courant su sein de l’Armée canadienne pour désigner l’aumônier, vient du mot espagnol ou portugais «padres» ou «père». La façon dont ce terme est entré dans le vocabulaire de l’armée britannique, qui fut la première à l’utiliser, demeure encore obscure. Il est possible que ce mot soit entré dans l’usage au cours de la guerre de l’Espagne ou encore par l’intermédiaire des régiments britanniques cantonnés en Inde, en Afrique où le terme était couramment utilisé par les Espagnols et les Portugais pour désigner les membres du clergé. »
Canada, Ministère de la Défense nationale, Manuel du Service royal de l’aumônerie canadienne, A-CG-001-000/JD-000, Ottawa, 2003, p. 1-1
2. Canada, Ministère de la Défense nationale, Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, chapitre 33.03, Ottawa, 2005, p. 3.
3. A la connaissance de l’auteur, cette phrase est attribuable au théologien et apologète américain Francis Schaeffer (1912 – 1984), d’abord dans livre Two Contents, Two Realities, Downers Grove, USA, Inter Varsity Press, 1977.
4. L’auteur préfère se limiter à sa propre expérience dans les armes de combat, de 1992 à 2008, lorsqu’il a servi comme aumônier du Royal Montreal Regiment, une unité de la Première Réserve de l’Armée canadienne.
5. Un résumé concis du rôle du diacre vient de l’Ordre et discipline ecclésiastiques de l’Église réformée du Québec :
La fonction principale des diacres est de servir l’Église et le monde au nom du Seigneur selon l’Ecriture (l). A cet effet, le conseil des diacres doit exercer les ministères de l’aide aux membres dans le besoin, de la distribution des dons en argent ou en nature, et de la formation des membres en ce qui concerne les biens matériels. Par l’exercice de leur ministère, l’amour du Christ devient visible et réel, en particulier aux nécessiteux et à ceux qui souffrent matériellement, physiquement, émotionnellement et spirituellement. Les diacres servent l’Église par leur engagement et par leur exemple. Ils sont un modèle qui stimule chaque membre à s’engager avec fidélité dans son service particulier. Ils doivent faire preuve de sagesse, de dévouement et de discrétion. (Actes 6.2,3; Romains 12.7; Romains 16.1,2).
L’Église réformée du Québec, Ordre et discipline ecclésiastiques, chapitre 2.4.1., édition du 15 mars 2001 http://www.erq.qc.ca/francais/ode_fr.html
6. Le lecteur est invité à lire : Romains 3, 21 – 31; Romains 5, 1 – 11; Romains 8, 31 – 39; Ephésiens 1, 3 – 14; Ephésiens 2, 1-10.
7. Etabli en 1883, le Royal Canadian Regiment est le régiment d’infanterie le plus ancien de l’Armée canadienne. Il a servi dans tous les conflits dans lesquels le Canada a été impliqué. Sa devise officielle est Pro Patri.
8. Les forces spéciales de certains pays occidentaux ont adopté des variations de la devise «Qui ose, gagne», dont l’origine remonte possiblement à David Sterling (‘‘Who Dares, Wins’’) le fondateur des commandos d’élite britanniques pendant la Deuxième guerre mondiale. Voir FERGUSON, Amanda, SAS : Special Air Service, New York, Rosen Publishing, 2003, p. 12.
- Padre/Lcol (ret) J.G. (Jean) Zoellner, MMM,CD est membre du corps pastoral de l’Église réformée du Québec, où il a exercé un ministère pastoral de 1983 à 2015. Parallèlement, il fut aumônier dans la Réserve de l’Armée canadienne de 1991 à 2015, dont son dernier poste a été celui d’Aumônier adjoint du Commandement de l’Armée canadienne (2013-2015). Il est actuellement Doyen de Farel | Faculté de théologie réformée à Montréal. Lui et son épouse Daryl habitent Montréal.