« L’habit ne fait pas le moine » dit le dicton, ou si vous voulez, les apparences sont parfois trompeuses, car la vie est plus complexe que prévue. Toutefois, nous ne sommes pas toujours à l’aise devant cette réalité. Nous préférons une vie stable, prévisible et compréhensible, surtout dans nos relations avec d’autres, y compris avec Dieu lui-même. Nous appelons cette stabilité «la sagesse», à savoir, l’art de pouvoir agir de façon juste, au bon moment, en toute connaissance de cause.
Voilà pourquoi nous sommes parfois déroutés par ce récit biblique portant le titre Job. Il dresse un tableau d’événements douloureux qui dépassent notre sagesse, car notre sagesse ne peut ni comprendre ce qui nous arrive, ni guérir notre profond chagrin.
Nous ne savons pas beaucoup au sujet de Job. Certains croient qu’il est un homme qui vivait à l’époque de Moïse, peut-être autour de l’an 1 400 avant Jésus-Christ. D’autres croient qu’il n’a jamais existé, mais que cette histoire a été écrite, sous l’inspiration de Dieu le Saint-Esprit, pour nous amener à réfléchir davantage à notre relation avec Dieu et notre prochain. D’autres croient – et c’est la position avancée dans le présent article – que Job a bel et bien existé, mais que sa vie a été transformée en une sorte de parabole qui nous amène à chercher une autre sagesse dans ce monde où la souffrance peut nous frapper, soudainement et de plein fouet.
Dans ce premier chapitre, il y a une profonde tension qui nourrit tout le livre, et dont la résolution n’arrive qu’au tout dernier chapitre. Cette tension influe beaucoup sur notre relation avec Dieu lui-même, et avec nos plus proches.
Commençons en relisant les versets 1 et 22, le premier et le dernier verset du chapitre :
« 1 Il y avait une fois au pays d’Ous un homme du nom de Job. Cet homme était irréprochable, droit, fidèle à Dieu et se tenait à l’écart du mal. 22 Dans tous ces malheurs Job ne commit ainsi aucune faute ; il ne dit rien d’inconvenant contre Dieu.»
Bref, peut importe les circonstances et les apparences, au fond de ses motifs, Job reste intègre.
Lisons, maintenant, les versets 9 à 11, où l’intégrité de Job est mise en doute :
9 « Si Job t’est fidèle, répliqua l’accusateur, est-ce gratuitement ? 10 Ne le protèges-tu pas de tous côtés, comme par une clôture, lui, sa famille et ses biens ? Tu as si bien favorisé ce qu’il a entrepris, que ses troupeaux sont répandus sur tout le pays. 11 Mais si tu oses toucher à ce qu’il possède, il te maudira ouvertement ! »
Or, que se passe-t-il ici ? En hébreu, le mot pour «accusateur» est hassatan. Alors, au fils des années, des traductions de la Bible présentent ici un dialogue entre Dieu et Satan. Toutefois, dans tout le reste de la Bible, Dieu ne traite jamais Satan de cette façon et n’entre jamais dans un genre de «pari» avec lui. Par contre, en prenant ce récit plutôt comme une parabole, on voit bien que «l’accusateur» sert Dieu et fait partie de son peuple. Bref, dans cette parabole, l’accusateur incarne une «sagesse» qui peut nous attirer tous, mais qui est fausse ! 1
Lorsque vous regardez de nouveau les versets 9 à 11, que voyez-vous dans les paroles de l’accusateur ? Deux choses : d’abord, il remet en question les connaissances de Dieu ; et ensuite, il remet en question les motifs de Job. Voici peut-être le premier texte de ce que les philosophes appellent aujourd’hui la «déconstruction». Bref, tout le monde essaie de construire son identité, car on estime que la valeur humaine la plus importante, c’est l’autonomie. Etre libre de faire et de parfaire sa propre identité. Toutefois, la décontraction croit qu’une telle tentative est toujours fausse. Autrement dit, tout le monde est hypocrite, y compris Dieu. Or, l’accusateur essaie de «déconstruire» à la fois Dieu et Job. L’accusateur prétend que Dieu ne sait pas ce qui motive son serviteur et l’accusateur dit que derrière une façade noble, Job cache des motifs égoïstes et malfaisants. 2
Puis-je le dire ainsi ? Le livre de Job est, au fond, une grande parabole qui expose la folie d’oser être plus sage que Dieu. Au fond de cette tentative d’oser être plus sage que Dieu, c’est la présomption, devant la souffrance, d’être mieux informé que Dieu lui-même et de pouvoir lire le cœur des autres qui y sont impliqués. Autrement dit, cette tentative de «sagesse» n’est pas sage, car elle est, au contraire, un procès d’intention qui nous fera plus de mal que de bien. Dans les chapitres à venir, vous allez rencontrer des gens qui, tout comme l’accusateur, prétendront connaître les motifs qui animent Job. Et plus tard, vous verrez que Job lui-même dira à Dieu que Dieu ne joue pas selon les règles que Job estime être les bonnes, car Job prétend mieux comprendre que Dieu ! 3 Oser être plus sage que Dieu.
Eh bien, que faire ? Nous avons besoin d’une autre sagesse, une vraie sagesse. Voici ce qu’en dit l’apôtre Paul aux versets 19 à 21 de 1 Corinthiens, chapitre 1:
«19 Voici ce que l’Écriture déclare: « Je détruirai la sagesse des sages, je rejetterai le savoir des gens intelligents. » 20 Alors, que peuvent encore dire les sages ? ou les gens instruits ? ou les discoureurs du temps présent ? Dieu a démontré que la sagesse de ce monde est folie ! 21 En effet, les humains, avec toute leur sagesse, ont été incapables de reconnaître Dieu là où il manifestait sa sagesse. C’est pourquoi, Dieu a décidé de sauver ceux qui croient grâce à cette prédication apparemment folle de la croix.»
Jésus-Christ n’est pas une forme de sagesse parmi d’autres ; il est la sagesse elle-même ! Pourquoi ? Parce que la vraie sagesse est toujours à la fois relationnelle et rédemptrice. C’est le pouvoir de renouveler et de parfaire des relations cassées, à la fois avec Dieu et avec autrui. Parfois, la sagesse de Dieu nous paraîtra comme en étant absurde: de la souffrance et de l’injustice sans explications. Toutefois, pour ceux que Dieu aime en son Fils, sa sagesse est toujours motivée par sa gloire et sa grâce personnelles. La preuve ? La croix de Jésus-Christ lui-même.
Dieu vient dans notre misère, pour prendre sur lui-même notre péché contre lui et contre notre prochain. Il vient satisfaire à sa justice pour nous. Toutefois, sa façon de faire paraît si injuste : la croix de la peine capitale infligée à un innocent ! C’est le contraire de ce qu’on attend, car il nous est difficile d’accepter qu’un tel crime puisse venir de son amour, de sa bonté, de sa grâce. Voilà ce qui nous dépasse: Comment croire que sa bonté s’accomplit au travers de la souffrance et de l’injustice ? Notre « sagesse » ne peut arriver à une autre conclusion. Oser être plus sage que Dieu.
Il se peut que vous soyez en train de lire cet article, tout en étant profondément tristes, voir démolis. Vous vivez le chagrin. Des choses vous arrivent qui vous dépassent. Vous êtes blessés par les autres. Vous essayez de vous soigner en espérant pouvoir comprendre ce qui a motivé les autres de vous traiter ainsi. Mais vous n’êtes pas Dieu. Alors, il vous est impossible de comprendre pourquoi. Pire, tenter de saisir et de juger les motifs des autres finit par empirer votre propre souffrance.
Ou bien, dans votre douleur réelle, vous pensez que Dieu n’est pas juste et qu’il est incapable de vous montrer la moindre empathie. Encore, vous n’êtes pas Dieu. Alors, il vous sera impossible d’expérimenter, avec certitude, ce que Dieu expérimente. Autrement dit, juger Dieu finira par empirer votre souffrance. Puis-je le dire ainsi ? Notre sagesse ne pourra jamais comprendre ou cerner notre chagrin. Voilà pourquoi la pire chose que nous puissions faire, c’est oser être plus sage que Dieu !
Toutefois, il y a une autre option: laissez Jésus-Christ vous porter au travers de votre souffrance et de votre cœur brisé. Lui seul connaît les motifs des autres, et les vôtres. Lui seul vous aime véritablement. Il est le seul ayant le pouvoir pour transformer votre souffrance en guérison, et ceci, jusqu’au fond de votre âme. Oser être plus sage que Dieu tourne toujours au vinaigre: on finit par juger les motifs des autres et de Dieu lui-même. Par contre, la sagesse qui vient de Dieu finit par se remettre entre ses bras: « Seigneur, je ne comprends pas pourquoi tu permets une telle souffrance dans ma vie. Je ne peux rien faire et je ne peux rien dire. Je vais simplement me fier à toi et t’attendre, parce que tu m’aimes et tu veux ta gloire et ta bonté dans ma vie. »
Comme le dit le verset 7 de Proverbes 1 : « Rester silencieux entre les mains du Seigneur est le commencement de la sagesse.»
- J.G. Zoellner
Notes
- L’argument avancé ici vient de Longman III, Tremper, Commentary on Job, Grand Rapids, E-U, Baker Academic, 2012.
- Longman III, Commentary on Job
- Longman III, Commentary on Job